Chez le braguettologue

- "Bonjour docteur!

- Bonjour! Asseyez-vous je vous prie.

- Merci.

- Qu'est-ce qui vous amène?

- Hé bien... en fait... je vais vous montrer."

L'homme se lève de son siège et se poste bien en face du médecin.

- "Voilà..."

Il abaisse sa braguette et on entend l'air de Gigi l'amoroso chanté par Dalida. Après quelques secondes, il remonte sa braguette.

- "Je ne comprends pas." ajoute-t-il.

- "Ah oui! Effectivement." réplique le docteur, intrigué.

- "Vous permettez?" demande-t-il à l'homme en s'approchant doucement.

- "Je vous en prie."

Le docteur s'agenouille devant l'homme, saisit précautionneusement la braguette de ce dernier et l'abaisse avec attention... "Arrivaaaa, Gigi l'Amoroso. Croqueur d'a..."

- "Holà!" s'exclame le docteur en remontant brusquement la braguette.

Il répète la manipulation deux ou trois fois, avec des gestes précis, plus ou moins vifs, et chaque fois la même chanson se fait entendre. Le docteur retourne s'asseoir dans son fauteuil prenant une de ces postures songeuses où l'on porte à ses lèvres son pouce et son index joints, le regard perdu on ne sait où. L'homme, un peu inquiet et embarassé, réajuste rapidement son pantalon puis se rasseoit à son tour.

- "Cela fait longtemps que ça vous arrive?" questionne le docteur.

- "Heu... une semaine!?

- Est-ce que vous vous...

- C'est grave, docteur?" interrompt l'homme.

- Grave! Grave! Non, je vous dirais en bon scientifique qu'il doit y avoir une bonne explication et à partir de là une probable solution à votre problème. Donc, je voulais vous demander si vous vous souveniez comment, dans quelles circonstances cela s'est produit la première fois. Je vous prie de faire l'effort de vous souvenir du plus de détails possibles... Je ne devrais pas vous le dire, mais vous n'êtes pas la première personne à venir me voir pour ce genre de, de tracas, je dirais.

- Aah !?

- Bien sûr, on ne peut pas encore parler de phénomène de masse, "d'épidémie" vous me passerez le mot. Cela dit, il s'agit peut-être là de signes avant-coureurs; il convient d'être vigilant et de prendre le maximum de précautions et dispositions afin d'éviter, peut-être, peut-être, un développement de ce... ce...

- Oui, je comprends ! Heu... Et bien, mardi dernier, j'étais au bureau et pendant la pause de 11 heures, je suis allé aux toilettes, et au moment de... ça s'est produit. Il a fallu que je me retienne jusqu'à ce que je puisse aller me soulager seul. Et depuis, c'est toujours la même chanson. Je comprends pas... J'aime pas ce titre en plus!

- Ah, vous n'aimez pas?

- Ah non! Et encore moins maintenant.

- Hmm... Jamais auparavant, vous ou votre famille n'avez connu un tel cas?

- Jamais! ... Heu... Si, mais, c'est pas vraiment la famille. Mon beau-frère, un jour, il m'a dit que ça lui était arrivé avec Ah qu'elles sont jolies les filles de mon pays d'Enrico Macias.

- Intéressant.

- Vous pensez que...

- Non. Rassurez-vous. J'imagine que si votre beau-frère vous en a parlé c'est qu'il s'était débarassé du... "problème".

- Oui. Tel que je le connais il a du, comme vous dites, "s'en débarasser" radicalement.

- Bon! Continuons à chercher à comprendre. À quel propos, dans quel cadre votre beau-frère vous évoquait-il sa mésaventure?

- C'était lors un barbecue, en famille, l'été dernier; ils étaient venus, lui, ma soeur et leur fils, nous montrer les photos de leur voyage en Sicile.

- En Sicile...

- Oui.

- Mmm...

- ???

- L'autre cas dont je vous ai parlé... revenait d'un voyage en Grèce. C'était au printemps dernier.

- Ah!?

- Vous avez voyagé récemment?

- Holà! Mon dieu! Ça y est, je vois ce que vous voulez dire!

- Ne nous affolons pas! Répondez-moi simplement!

- Oh! Non! C'est pas vrai! Vous croyez que ça n'arrive qu'aux autres et puis... Ah, quel con!

- Allons! Allons! Racontez-moi.

- Putain! Le gogo!

- Que s'est-il passé?

- Ah, ils sont forts! Bien fait pour ma gueule, tiens!

- Quoi! Expliquez-vous, sans quoi...

- Oui! Oui! Nous avons été en vacances et justement on est rentré le week-end juste avant que... "ça" commence.

- Vous voulez dire avec votre famille?

- Oui, avec ma femme et nos deux enfants. On est allé à Naples et...

- La Grèce, la Sicile, Naples... ça approche!

- ?!

- Continuez, continuez!

- Et bien, vous devinez le reste. Un matin, dans un banal marché, ma femme me fait signe pour me montrer une robe qui lui plaisait et qui, surtout, n'était pas chère, pour la marque.

- La marque!?

- Une bonne marque de robe; je sais plus laquelle, je m'y connais pas trop en fringues de femmes. Bref, on se laisse tenter en nous voilà repartis chargés de "bonnes affaires".

- Dont votre pantalon

- Mouais... Mais un jean! Jamais je me serais méfié. Ah, ils sont forts!

- Il faut reconnaître qu'ils sont très habiles! Mais si vous saviez le marché que cela concerne, les sommes qui circulent dans ce milieu...

- J'imagine, mais quand-même! Un jean... avec Dalida! De quoi j'ai l'air? Encore Johnny Haliday ou même Dick Rivers j'aurais toléré. Moi qui m'attendais à un Neil Young ou un Johnny Cash.

- Mais ils sont sans scrupules, et on ne peut rien faire. Pensez! On en attrape un mais il y en a dix, que dis-je, cent autres qui attendent derrière pour prendre la place. Il est très rare qu'on touche aux gros bonnets et surtout dans la lingerie et l'habillement, croyez-moi. L'appât du gain facile! Le touriste est en vacances, détendu, il a le sentiment de faire une affaire et une fois rentré, madame enfile son nouveau chemisier, le montre même à ses amies et puis finit par se rendre compte de la supercherie lorsqu'elle entend Mireille Mathieu alors qu'elle pensait avoir acheté un véritable Calas, soit disant "fin de stock".

- Aah! Lala...

- Et votre femme, au fait?

- Quoi, ma femme?

- Sa robe?

- Oh, vous savez, elle n'a pas l'oreille musicale. Je suis sûr qu'elle n'a rien remarqué. Remarquez c'est pratique d'un côté : je peux lui acheter des dessous André Rieux ou Clayderman, comme elle n'est pas mélomane, elle est ravie, croyant porter du Paganini ou du Liszt.

- Vous n'êtes pas tendre! Hé! Hé!

- Si vous la connaissiez... Bon, alors qu'est-ce qu'on va faire, docteur? Vous croyez que je vais devoir, comme mon beau-frère, jeter ce pantalon?

- Non, non! Je vais vous faire une ordonnance; vous prendrez rendez-vous avec un collègue orthophono-mélo-braguettologue qui vous accordera cette braguette. Je ne vous promets pas que vous pourrez un jour entendre du Bruce Springsteen mais bon, peut-être vous en tirerez-vous avec du Jean-Jacques Goldman, vieille époque.

- Bah! Ce sera toujours mieux que Dalida.

- Ça vous fera 55 €.

olivier r.
( 2 0 0 4 )

- Laisser un commentaire -

Commentaires